Airbags Takata : comprendre la crise pour construire la vigilance automobile de demain
Publié le 17 novembre 2025
Le 6 novembre 2025, un webinaire exceptionnel réunissant l’IGEDD et la DGEC a permis de dresser un état des lieux complet de la crise des airbags Takata. Cet échange, organisé conjointement par le MAP, Jurisprudence Automobile et l’Argus de l’assurance, a mis en lumière les mécanismes du dysfonctionnement, les actions engagées en France, les perspectives réglementaires européennes et les enseignements à tirer pour les technologies de sécurité embarquées. L’affaire Takata, loin d’être close, constitue aujourd’hui un cas d’école pour repenser la vigilance automobile.
Rarement un équipement de sécurité aura autant questionné la maîtrise du risque technologique dans l’automobile. L’explosion d’airbags Takata, responsable de nombreux accidents dans le monde, a mis en évidence la fragilité de certaines chaînes d’approvisionnement, les limites de la traçabilité et la nécessité d’une coordination renforcée. Au-delà du cas Takata, cette crise nous rappelle que la sécurité automobile dépend aussi d’une vigilance collective. Le webinaire proposé éclaire ces enjeux et ouvre des perspectives pour l’avenir. Sa conclusion porte un message déterminant : retrouver les propriétaires encore concernés est aujourd’hui la condition indispensable pour éviter de nouveaux drames — un appel lancé par les pouvoirs publics et nos invités, auquel chacun peut contribuer.
(Lire l'intégralité de la publication ci-dessous et les conclusions en fin d'article)
______________________________
Nous vous invitons à visionner le Replay vidéo de l'évènement en cliquant sur le lecteur vidéo ci-dessus. Vous pouvez également sélectionner le ou les chapitres qui vous intéressent en sélectionnant directement dans la barre de lecture ou en cliquant sur l'icone "Chapitre" du lecteur (Introduction et avant-propos / Décryptage de 'affaire Takata (IGEDD) / Le rôle et l'action du SSMVM / L'homologation et l'action du contrôle technique / Questions-Réponses / Invité observateur : vision juridique / Conclusions)
(précision: les caméras des intervenants, visibles durant le direct, n'ont pas été prises en compte dans cet enregistrement)
Nos invités intervenants :
Dominique Auverlot : Inspecteur général de l'environnement et du développement durable, co-auteur du rapport de la mission de l'IGEDD sur les véhicules équipés d'airbags Takata
Catherine Bieth : Cheffe de service à la Direction générale de l'énergie et du climat (DGEC) - Service de surveillance du marché des véhicules et des moteurs (SSMVM)
Caroline Mahé-Deckers : Sous-directrice de la sécurité et des émissions des véhicules (SD6) - Direction générale de l'énergie et du climat (DGEC)
Invité observateur : Lionel Namin - Directeur scientifique de la revue Jurisprudence automobile / Secrétaire général de la FFEA
_____________________________
Une crise mondiale, un risque technologique particulier
L’affaire des airbags Takata constitue, depuis plus de vingt ans, l’un des événements les plus marquants de la sécurité automobile contemporaine. Elle interroge à la fois la conception des équipements de sécurité, l’organisation des rappels, la circulation de l’information entre acteurs, et la capacité collective à gérer un risque technologique complexe.
Le dysfonctionnement identifié repose sur un phénomène aujourd’hui bien documenté : le vieillissement d’un générateur pyrotechnique à base de nitrate d’ammonium stabilisé (PSAN 2004). Sous l’effet de la chaleur et de l’humidité, la matière peut se dégrader et provoquer, lors du déclenchement de l’airbag, un dégagement de gaz trop rapide entraînant une rupture du boîtier métallique et la projection de fragments. Ce risque, d’abord révélé aux États-Unis, touche aussi l’Europe et les territoires français d’outre-mer.
Avec plus de 100 millions de véhicules rappelés dans le monde, la crise Takata possède une dimension technique, industrielle et humaine exceptionnelle.
L’action résolue des pouvoirs publics en France
La mobilisation française s’est renforcée à partir de 2023-2024, lorsque les services du ministère chargé des Transports et de la Transition écologique ont consolidé l’ensemble des données disponibles : résultats d’essais, signalements d’accidents, informations constructeurs.
Le SSMVM, service chargé de la surveillance du marché des véhicules et des moteurs, a alors immédiatement engagé des actions structurantes et innovantes :
- • Généralisation des rappels pour tous les modèles identifiés,
- • Introduction d’une mesure inédite en France : le stop-drive, lorsqu’un véhicule représente un risque immédiat,
- • Campagnes renforcées dans les DROM, où la chaleur et l’humidité accélèrent le vieillissement des générateurs,
- • Obligation pour les constructeurs de proposer des solutions de mobilité gratuites jusqu’au remplacement de l’airbag,
- • Mise en place d’un système d’information centralisé assurant un suivi plus rigoureux des opérations de rappel.
Un nouvel arrêté, publié après un accident survenu en juin 2025, a imposé une révision des analyses de risque :
- • extension du stop-drive à des véhicules initialement considérés comme non prioritaires,
- • obligation de tester, surveiller et reclasser les airbags encore en circulation,
- • publication de la liste complète des modèles concernés.
À ce jour, environ 2,4 millions de véhicules doivent encore être traités en France, et les efforts d’identification, de contact et de remplacement se poursuivent.
Le contrôle technique, acteur de la vigilance
Parce que les rappels concernent souvent des véhicules anciens ou difficiles à localiser, le contrôle technique joue un rôle central dans la stratégie de sécurité publique.
Depuis début 2025, les centres de contrôle technique :
- • relaient systématiquement l’information sur les rappels Takata,
- • apposent une mention explicite sur le procès-verbal lorsque le véhicule présenté est concerné,
- • peuvent transmettre certaines données utiles aux constructeurs pour faciliter la recherche des propriétaires.
Une évolution réglementaire, attendue pour 2026, permettra d’aller plus loin :
- • contre-visite systématique des véhicules en stop-drive / validité du contrôle réduite à 24 heures,
- • circuits de données renforcés pour garantir une mise à jour quasi immédiate de la situation du véhicule.
Cette évolution vise non seulement l’affaire Takata, mais aussi la gestion de futurs rappels graves impliquant d’autres technologies.
Une mobilisation européenne et internationale
Le webinaire a souligné un point clé : les airbags ne font pas aujourd’hui l’objet d’une homologation dédiée. Ils sont intégrés au processus global de réception du véhicule, mais sans norme propre encadrant leur fonctionnement.
La France a donc engagé une démarche proactive auprès :
- • de la Commission européenne,
- • des instances des Nations Unies,
afin de travailler à un encadrement plus précis des équipements de sécurité pyrotechniques. Les discussions en cours visent à mieux anticiper les risques, à harmoniser les règles et à éviter qu’un cas similaire à Takata ne se reproduise.
Les enseignements pour l’avenir : vers une vigilance automobile collective
Au-delà de la gestion opérationnelle, l’affaire Takata met en évidence plusieurs axes structurants pour l’avenir :
- 1. Renforcer la traçabilité des équipements : La capacité à identifier rapidement et précisément les équipements à risque est désormais un enjeu central, particulièrement pour les véhicules durables, souvent revendus plusieurs fois ou exportés.
- 2. Améliorer la circulation de l’information : Constructeurs, assureurs, experts, contrôleurs techniques, réparateurs : chacun détient une part utile de l’information. La coordination entre acteurs devient essentielle pour atteindre les propriétaires.
- 3. Consolider la chaîne de confiance : La sécurité automobile repose sur un ensemble d’intervenants : pouvoirs publics, industriels, professionnels de l’expertise, assureurs, réseaux de contrôle technique et usagers. La cohérence et l’efficacité de cette chaîne conditionnent la réussite des rappels.
- 4. Anticiper les risques liés aux nouvelles technologies : Électrification, connectivité, automatismes, logiciels embarqués : la complexité croissante des véhicules appelle une réflexion renforcée sur les risques émergents et la manière de les surveiller.
Construire une culture durable de prévention
L’affaire Takata constitue un jalon important dans l’histoire de la sécurité automobile. Elle révèle les difficultés de gestion d’un risque technologique mondial, mais également la capacité des acteurs français à se mobiliser collectivement lorsque le danger est avéré.
Elle rappelle surtout que la sécurité est un bien commun, fondé sur la vigilance, la transparence et la coopération. À travers ce webinaire et ses analyses, le MAP – Observatoire des experts de la mobilité contribue à renforcer cette culture de prévention et invite l’ensemble de la filière à poursuivre ce travail collectif au service de la sécurité des usagers.
_____________________________
Conclusions des intervenants – Une mobilisation collective indispensable pour repérer les propriétaires et renforcer la vigilance automobile
Une vigilance essentielle pour chaque conducteur et pour l’entourage
Dominique Auverlot (IGEDD) rappelle que la priorité absolue reste de vérifier régulièrement si son véhicule — ou ceux de ses proches — est concerné par un airbag Takata. La liste des modèles évolue encore et les ruptures se poursuivent : la vigilance individuelle demeure un premier levier de prévention.
Un airbag doit sauver, jamais blesser : appel à tous les relais d’information
Pour Catherine Bieth (SSMVM), la difficulté centrale est désormais de retrouver les propriétaires, et non les véhicules eux-mêmes. Les pouvoirs publics appellent donc à la mobilisation de tous les acteurs de la filière — assureurs, centres de contrôle technique, experts, réparateurs, distributeurs, collectivités, médias — pour toucher les automobilistes et accélérer le remplacement des airbags.
Construire une culture commune de vigilance automobile
Caroline Mahé Deckers (Sous direction de la sécurité et des émissions des véhicules) souligne que la réponse à la crise Takata ne peut reposer sur un acteur unique. La solution passe par une action collective, structurée et coordonnée, appuyée sur une circulation fluide de l’information et sur la capitalisation des retours d’expérience pour les dispositifs de sécurité futurs.
L’œil du juriste : une exigence de prévention, de transparence et de diligence
Lionel Namin (Jurisprudence Automobile / FFEA), Takata met en lumière les obligations fortes liées à la sécurité des produits et la nécessité de disposer d’outils de traçabilité robustes. Le contrôle technique, prochainement renforcé, devient un instrument essentiel de vigilance juridique et technique.
Le regard du MAP : vers une vigilance automobile durable et partagée
Pour le MAP, Laurent Hecquet, insiste sur les enseignements structurels révélés par l’affaire Takata. Cette crise démontre qu’aucun acteur ne peut assurer seul la sécurité automobile : elle requiert une vigilance collective, une coordination continue et une capacité à unir administrations, industriels, experts, assureurs, réparateurs et usagers.
Il souligne également que les outils de sécurité — traçabilité, partage d’information, systèmes de suivi — doivent évoluer pour être à la hauteur des nouveaux défis posés par les véhicules modernes : plus complexes, plus connectés, plus technologiquement sensibles.
Enfin, l’affaire Takata ouvre une réflexion indispensable sur la sécurité de demain. À l’heure des véhicules électriques, connectés et autonomes, la prévention et la transparence doivent devenir des éléments structurants d’une véritable culture de vigilance automobile.
________________________________________
Appel collectif final : retrouver les propriétaires pour éviter de nouveaux drames
Au-delà de leurs approches respectives, tous les intervenants convergent vers un message clair :
l’enjeu prioritaire est désormais de retrouver et d’informer les propriétaires des véhicules encore équipés d’airbags Takata.
La tâche est complexe — adresses obsolètes, véhicules revendus, circulation outre-mer, dossiers incomplets — mais elle est essentielle pour mettre fin aux accidents encore constatés.
Les pouvoirs publics appellent donc l’ensemble des acteurs et relais d’information à contribuer, à leur échelle, à cette démarche de sécurité vitale. Chaque signalement, chaque vérification, chaque relais peut sauver une vie.
________________________________________
A propos de
L'IGEDD (Inspection générale de l'environnement et du développement durable) : L’Inspection générale de l’Environnement et du Développement durable (IGEDD) conseille le Gouvernement sur la transition écologique et énergétique, l’urbanisme, le logement, les mobilités, l’eau, la biodiversité. C'est un organisme d'expertise classé auprès du ministre de la Transition écologique, des Transports, et parfois des autres ministres qui y sont attachés. ,
Le SSMVM (Service de surveillance des marché des véhicules et moteurs) : Créé le 10 juin 2020, le SSMVM, service à compétence nationale rattaché à la direction du climat, de l'efficacité énergétique et de l'air (DCEEA) de la direction générale de l’énergie et du climat (DGEC), est l’autorité nationale chargée de vérifier que les véhicules, les remorques, les systèmes, les composants et les entités techniques distinctes ainsi que les moteurs des engins mobiles non routiers mis à disposition sur le marché français sont conformes aux prescriptions techniques fixées par la règlementation européenne et nationale en matière de sécurité, de santé et d’environnement.
La Sous-direction de la sécurité et des émissions des véhicules (SD6) : élabore et met en œuvre les textes réglementaires français relatifs aux véhicules, à leur immatriculation et à leur contrôle technique, et elle participe activement aux travaux communautaires et internationaux dans ces domaines. Elle pilote la politique de verdissement du parc de véhicules, ainsi que le développement du véhicule autonome. Elle délivre des homologations de véhicules, et elle anime le réseau des services déconcentrés en charge de la surveillance du contrôle technique et de la réception de certains véhicules.
________________________________________
Partagez cet article sur les réseaux sociaux :
Sur le même thème
Airbags Takata : l’IGEDD alerte sur l’efficacité des rappels
Le rapport d’inspection sur les airbags Takata pointe des rappels trop lents et inefficaces en France. L’IGEDD réclame des mesures coercitives pour accélérer le remplacement des équipements défectueux.
Zombies Phone » : la Sécurité routière alerte sur les dangers du smartphone aussi pour les piétons
Ils sont déjà parmi nous. Ils envahissent les villes, ils sont une menace pour eux-mêmes, et un danger pour les autres. « Ils », ce sont des zombies entre lesquels navigue un cycliste effaré, dans une ville tout droit sortie d'un film de George Romero ou de Danny Boyle.
Homicide routier : une nouvelle qualification pénale adoptée par le parlement.
Le 3 juin 2025, l’Assemblée nationale a adopté à une large majorité une proposition de loi majeure pour le droit pénal routier : la création du délit autonome d’homicide routier, défendue par François-Noël Buffet, ministre auprès du ministre d’État, ministre de l’Intérieur. Le Sénat en a voté la conformité le 1er juillet.

