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Actualité / Société, Usages & Consommation

L'hydrogène attend son heure

Publié le 24 octobre 2018

Le 21 septembre dernier, une partie de la filière hydrogène s'est réunie pour un débat inédit. Une rencontre qui a mis un coup de projecteur sur cette technologie en gain de maturité.

Au pic de la carrière de Nikola Tesla, le concept d'électricité oscillait entre la science, la magie et l'opportunité commerciale, s'accordent à dire les historiens. La perception dépendait selon que le générateur était disséqué par le monde universitaire, observé par les populations du 19e siècle ou analysé par les géants du monde des affaires de l'époque. Aujourd'hui, c'est encore un peu le cas. L'électricité produite par la pile à hydrogène pour mouvoir les véhicules se place, en effet, à la croisée des chemins entre les efforts scientifiques pour en améliorer le rendement, le fantasme populaire qui lui prête nombres de vertus et de craintes et la volonté industrielle d'en tirer un profit sur le long terme. 

Et cela va se produire, à en croire les études les plus sérieuses. En marge de la COP23, en fin d'année 2017, durant laquelle un rapport recommandait la mise à la route de 80 millions de véhicules zéro émission d'ici à 2030, le cabinet McKinsey expliquait dans une publication, qu'appliqué aux véhicules particuliers, l'hydrogène peut tirer son épingle du jeu. Les experts sont parvenus à la conclusion que le VE à batterie conservera son avantage économique à horizon 2030 s'il reste sur des batteries à 30 kWh de capacité, mais son avantage aura tendance à diminuer au-delà. "A environ 55 kWh, les deux solutions auront le même coût, pouvait-on lire dans le bilan. Au-delà, l'hydrogène sera moins cher que l'électrique". En termes de TCO, et par rapport aux véhicules thermiques, l'étude calcule que le surcoût de l'hydrogène devrait passer sous la barre des 10 % entre 2025 et 2030, grâce aux économies d'échelle mais aussi grâce aux progrès à venir dans le domaine des piles à combustible dont la consommation devrait diminuer de 20 à 35 % à horizon 2030. 

Bertrand Piccard, le président-fondateur de la fondation Solar Impulse épouse cette vision : "L’hydrogène ce n’est pas le futur, c’est déjà le présent car l'hydrogène se fait des amis, là où la batterie se fait des ennemis, a-t-il chercher à interpeller l'auditoire, le 21 septembre dernier, lors d'un événement inédit dédié à la technologie hydrogène, organisé par Hyundai France. Avec la recharge d’une batterie, on court-circuite les pétroliers, les distributeurs et le taxateur, relevait-il, mais avec l’hydrogène on intègre tous les acteurs qu’on veut convaincre, on ne s’oppose pas à eux. Comme l’hydrogène devient rentable, son utilisation est logique, et pas seulement écologique". 

Des allures de "pay-per-view"

Une logique qui justifie alors d'autant plus le plan gouvernemental présenté en juin dernier. L'ex-ministre de l'Environnement et de la Transition écologique, Nicolas Hulot, avait annoncé que 100 millions d'euros seront dédiés aux premiers déploiements de l’hydrogène dans l’industrie, la mobilité et l’énergie, dès 2019. Une enveloppe que le ministère orphelin de son ambassadeur le plus convaincu – avec Marine le Pen – va confier à l’ADEME qui pilotera le déploiement de ces crédits et accompagnera les projets et acteurs de la filière partout en France. "L'agence prend l'hydrogène très au sérieux, aux côtés des véhicules électriques et des carburants verts", a rappelé son directeur général, Fabrice Boissier, ce même 21 septembre. Derrière ce plan tant attendu, il y a une consternante réalité. L'Hexagone ne compte que 23 stations de recharge dont une partie sont en accès privé. Et la cinquantaine de projets d'implantation et de démonstration référencée sur le site de l'Afhypac (association de la filière) ne saurait faire oublier que sur l'autre rive du Rhin, la marche forcée va amener l'Allemagne à disposer de 100 stations opérationnelles, en 2020. Pis, les 100 millions d'euros prennent des allures de "pay-per-view", quand on note que le gouvernement japonais va débloquer l'équivalent de 2 milliards d'euros, que celui de Corée du Sud va injecter environ 2,5 milliards et que la Chine prévoit un budget compris entre 5 et 10 milliards. 

Pour Pierre-Etienne Franc, directeur mondial de l’activité Hydrogène Energie du groupe Air Liquide, cela n'a rien à voir avec une folie des grandeurs. Une station hydrogène va continuer de réclamer "3 à 4 fois" les montants requis par une station-service traditionnelle, soit un peu moins d'un million d'euros par site. La bonne nouvelle étant que ce montant a déjà été divisé par deux, mais il reste un effort d'ingénierie considérable pour, a minima, diviser encore ce coût par deux. 

Le modèle économique conçoit deux types de stations, celle qui produit en local et celles qu'on alimente. Le premier cas implique l'intégration d'un électrolyseur, mais permettra d'économiser le coût du transport des 400 kg journaliers nécessaires à un point de recharge. "Une station n'est rentable que si elle est chargée pour approvisionner des véhicules, préviennent les représentants des parties prenantes. Il faut un mécanisme et des garanties financières en cas d'absence de demande". En attendant, la loi d'orientation des mobilités (LOM) multipliera-t-elle les incitations pratiques pour lancer le marché ? Les industriels veulent y croire, arguant qu'il y aura un retour sur investissement du fait que 85 % de la valeur de l'hydrogène vendu à la pompe sera d'origine française, quand 90 % de la valeur du carburant fossile mis dans le réservoir profite à des puissances étrangères. Outre la production d'équipements, il est estimé que plus de 30 000 emplois pourraient naître avec l'essor de la technologie hydrogène, d'ici à 2030… mais au prix de destruction par ailleurs. 

Toyota contracte avec Caetanobus

Le débat a été relancé par Hyundai car la marque introduit son SUV Nexo sur le marché. Mais Toyota et Honda étaient invités à prendre part à l'événement car l'enjeu dépasse les frontières du territoire concurrentiel. Les constructeurs doivent faire front commun, d'autant plus en France, pour faire changer les opinions et arbitrages. Si l'on en croit les projections, les véhicules propulsés par une pile à combustible représenteront au moins 3 % des ventes de VN dans le monde en 2030. Conjugués aux véhicules électriques à batterie, cela portera la part de marché du segment à 30,4 % de la production mondiale, dont 5,4 % pour les véhicules à hydrogène. Passer de presque 0 à 5 points de pénétration en 10 ans, ce sera une progression plus rapide que celle du véhicule électrique qui durant la décennie à conclure aura à peine grapillé 3 % sur les motorisations thermiques.

L'émergence de la pile à combustible passera par les flottes de véhicules volumineux. Les industriels sont d'accord sur ce point car l'amortissement y sera plus aisé. Les flottes n'ont pas le temps d'attendre le temps de chargement lié au véhicule électrique et le coût du carburant reste toujours plus intéressant que celui du pétrole. Air Liquide s'est engagé à abaisser le prix du kilogramme d'hydrogène à 6 euros (1 kg équivaut à 100 km environ).

Alors les contrats tombent en ce sens. Par exemple, chez Toyota qui deviendra le fournisseur du système hydrogène à implémenter dans les bus de Caetanobus, le constructeur portugais. Cela comprendra la pile à combustible, les réservoirs d’hydrogène et d’autres composants majeurs, pour une mise en production de série à partir de l'automne 2019. 

Toyota bus hydrogène

Les confidences chez Faurecia font état d'un accord avec un constructeur qui lancera une flotte expérimentale composée d'une vingtaine d'utilitaires, en 2019, équipés des solutions de l'équipementier. Il faudra patienter pour en apprendre davantage de manière plus officielle. De son côté, Volkswagen a également fait un pas en avant. La maison de Wolfsburg s'est rapprochée de l'Université de Standford dans le but de concevoir une pile à combustible au rendement triplé pour un coût réduit. Le constructeur et les universitaires souhaitent faire évoluer la quantité de métal précieux (platine) appliquée sur les couches. 

Chez Plastic Omnium, ce sujet trône sur la table. "En passant des micro-couches de platine, nous pouvons diviser par 1 000 la quantité nécessaire", expliquait un expert sur le stand du Mondial. Durant le salon, l'équipementier français installé dans le hall 1, il a dévoilé un concept tout à fait ambitieux. Grâce à un réservoir de 74 litres d’hydrogène qui ne pèse que 1,7 kg, et une pile à combustible, développés par Swiss Hydrogen, start-up suisse acquise en décembre 2017, Plastic Omnium a proposé une vision de véhicule électrique hybride, associant une batterie et une pile à combustible. Résultat : l'autonomie de la voiture pourrait être doublée, jusqu'à atteindre 800 km, tout en réduisant le temps de recharge, à 5 minutes. 

Et le mot de la fin reviendra à Pierre-Etienne Franc, le directeur au sein du groupe Air Liquide, qui rappelle que la quantité d'hydrogène utilisée chaque année pour désulfuriser les carburants pétroliers suffirait à alimenter 200 à 250 millions de véhicules, dans le monde. Une donnée qui force à la méditation. 

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